Under the spotlight

samedi 18 juin 2011 § 10 Commentaires

Avec le scialytique derrière l’épaule, au milieu du bloc opératoire, je me suis demandé comment j’en étais arrivé là. A ma gauche, la sage-femme me regardait faire pousser, à ma droite, l’interne, habillé pour l’accouchement, massait ses énormes mains en rongeant son frein et derrière moi, la chef me faisait des clins d’œil pour m’encourager.

Ah oui, je sais comment. On a tenté le coup avec la sage-femme. On était à la fin du travail, ça ne s’engageait pas, j’ai regardé la sage-femme dans les yeux, elle y a lu un truc et elle a appelé la chef de garde pour lui faire un deal. Un genre de truc zarb que je n’aurais même pas imaginé. Celui où on se retrouve à se laver les mains devant le bloc à côté de l’interne : lui pour une césarienne, moi pour un accouchement. Un jeu de sage-femme et de médecin, à se demander qui gagnera le pari de sortir ce bébé par voie basse.

 

Voilà où en est mon stage, je suis frustré.

 

Frustration donc

Je suis arrivé au moment où je suis un presque-sage-femme. Ca veut dire que selon mes résultats, je serai en mesure de faire des remplacements l’année prochaine.

Je vois le chemin que j’ai parcouru pour arriver où je suis mais je vois surtout le chemin qui me reste à parcourir. Je suis frustré parce que des situations comme celle-ci j’en ai eu plusieurs ces derniers temps. Des choses plutôt dures, quand à un moment, devant un rythme pathologique tous les yeux se tournent vers moi parce que la sage-femme attend de moi quelque chose. Un « je vais appeler le médecin parce que votre bébé a du mal à supporter le travail » ou un « C’est bon on peut attendre ».

Cela semble tellement facile vu de l’extérieur.

En deuxième année on croit que c’est simple, parce que dès qu’un problème survient on a une sage-femme qui prend la main et on l’assiste. Là c’est à nous de prendre une décision parce que notre sage-femme, notre garde fou qui jusque là faisait en fait tout le travail, s’attend à quelque chose. Qu’on lui montre qu’on en est capable.

Et c’est dur. Je ne fais pas vraiment d’erreur, mais mes sages-femmes doivent encore parfois reprendre la main, me rappelant ma condition d’étudiant.

 

C’est très frustrant en fait, la fin de la troisième année. Comme me dit une sage-femme, « Dans un an t’es sage-femme ! ». Justement je flippe.

 

Flippons donc un peu

Oui, je flippe.

Un an ça passera vite. Cette année est encore passée à une vitesse absolument ahurissante et quand je vois ce qui m’attend dans le monde pro, j’ai presque envie de rester étudiant. Trop facile : pas de facture, pas d’impôt, des parents, une vie simple, presque pas de responsabilité et peu de monde à qui rendre des comptes. Mais même cela n’est pas vrai. Etudiant sage-femme, cela ampute déjà trop de ces facilités : peu de week-end, peu de temps pour simplement vivre comme j’aimerais le faire. C’est fou ce que ça prend comme temps, ces études.

Je flippe parce que pour l’instant je ne me sens pas prêt. C’est un peu comme si on jouait au Jenga avec mes épaules et des responsabilités. Dès que j’ai trouvé un équilibre, on me rajoute un morceau de bois en plus.

J’ai encore un an hein, c’est une bonne chose. Mais je sens que ma première garde comme sage-femme pro sera vraiment stressante.

 

Et donc, sous mon projecteur

J’ai donc fait pousser ma patiente. La sage-femme aussi. Avec ces phrases un peu clichées qu’on nous colle à la peau.

Le bébé qui était tout en haut est descendu tout en bas. On a continué et on l’a sorti voie basse. La seule vraie plaie vaginale a été faite par l’interne qui a examiné comme une brute un périnée un peu fragile. On a emporté le bébé cinq minutes plus tard, sous les yeux d’une infirmière de bloc qui n’était pas vraiment habituée à ça, d’une anesthésiste avec la larme au coin de l’œil, d’un infirmier anesthésiste qui avait regardé tout ça par au dessus depuis le début et qui avait un sourire un peu idiot.

Quand je suis entré dans la salle avec le bébé dans les bras, tout le monde était content qu’on ait évité la Césarienne, preuve que parfois cela vaut la peine de parier avec audace contre un médecin (même si le fait d’avoir une bonne chef de garde ce soir là a été d’une aide certaine). Une sorte de petite victoire pour les sages-femmes ce soir là.

Mais moi j’étais frustré. Parce que mon regard disait à la sage-femme qui venait de prendre sa garde « J’ai suivi cette patiente toute la journée, c’est trop con si on finit en Césarienne ». Et parce qu’elle, elle a osé un pari que je n’avais même pas imaginé.

L’expérience de la sage-femme contre la naïveté de l’étudiant.

§ 10 réponses à Under the spotlight

  • Lise dit :

    Allez, il est très tôt, je vais me lâcher dans les commentaires pour une fois.

    Tu vois, moi ce que je trouverais consternant, c’est que tu te trouves hyper pro là, maintenant.

    « Flipper », c’est hélas peut-être aujourd’hui pour toi le plus sûr moyen d’apprendre encore et toujours et d’être à l’écoute de ce qui se passe là, entre ce bébé et cette femme, dans cette situation où la vie et la mort sont présentes, avant tous les autres protagonistes. C’est dur et ça le restera probablement( je ne suis pas cool en écrivant cela mais je ne te lirais peut-être pas si je ne sentais pas que tu peux l’entendre).

    Mais cette pression des médecins ( à part quelques exceptions), elle est tellement terrible :-/
    Ou plutôt la pression de la peur, qui envahit tout et bloque les ressources naturelles en présence. Dans notre société en général, dans ces circonstances particulièrement. C’est ça qu’il faut apprendre petit à petit à déjouer, avec ruse parfois.Pour trouver la place pour la Vie.

    J’imagine qu’en tant que pro tu as « les bonnes adresses ». En tant qu’ancienne « future maman », je les ai découvertes trop tard pour éviter des césa, mais assez tôt pour qu’en un rien de temps elles me « guérissent » de l’immense culpabilité de n’avoir pu accompagner mes bébés d’une manière respectueuse pour eux dans leur arrivée dans ce monde là.
    une Geneviève notamment.
    En une phrase, et juste avec sa grosse voix et sa présence incroyable, qui t’efface 8 ans de culpabilité ?!?.
    Un Jean-Claude avec son incroyable douceur et cette humilité qui me touchent.

    Nourris-toi autant que tu peux avec des gens comme ça.
    Prends soin de toi, de ta vie, de ta présence au monde.
    Je ne doute pas que tu trouves ta manière de faire avec car la sensibilité et l’implication sont les seuls leviers essentiels.

    J’arrête ;-)

  • PurpleNessa dit :

    Je vais dire un truc bateau mais… C’est NOR-MAL que tu te sentes naïf !!
    Comme dis Lise, ça serait inquiétant si tu te pensais déjà formé et mettais tes interrogations et ton stress de côté parce que c’est plus pratique.
    Toute l’équipe qui est autour de toi à chaque fois a de l’expérience, ils en ont vu des accouchements ; m’est avis qu’ils ne sont pas infaillibles, simplement ils peuvent comparer, un petit indicateur dans leur tête penche automatiquement vers telle ou telle décision, donc ils t’envoient au front et voient ce que tu fais.
    Oui, tu feras sûrement des erreurs, tu es là pour ça. Oui, ils les verront, et les corrigeront.
    Non, ce n’est pas facile.
    Je ne peux pas vraiment comparer avec ma propre expérience professionnelle (bien remise en question là), mais au début on ne sait pas tout, on voit les collègues qui naviguent à travers tout ça à l’aise, et on les envie.
    Un jour, sans s’en apercevoir, on y arrive aussi, et on se rend compte qu’au final, il reste toujours des questions mais on est capable d’y répondre seul.
    Moi ce que je vois, c’est que tu veux faire bien, pour la maman, son bébé, pour tes collègues, et c’est ta conscience aussi qui joue au Jenga.

    Je te souhaite de tout cœur bon courage, c’est ptete facile à dire mais sincère.

    GO !

  • ambresf dit :

    première garde de pro, j’arrive à 8h et une maman est prêt à accoucher. ma collègue qui me doublait et celle de nuit me regardent m’installer… et s’en vont. oui j’ai flippé. parce que plus personne derrière ton épaule, parce que c’est à toi de prendre la bonne décision. tu y arriveras, ne t’en fais pas. et puis des fois tu ne prendras pas la bonne décision. parce qu’on est que des humains. alors profites de cette dernière année et après…enjoy!
    et pour les impots… pas d’impots la première année, et t’auras même droit à la prime pour l’emploi! ;)

  • Ben mieux vaut flipper que créer une plaie vaginale comme cet interne ! Je suis vraiment choquée (d’ici à ce qu’il t’explique qu’avec des périnées aussi fragiles mieux vaut une bonne épisio…). Et sinon pour la petite histoire une de mes amies a eu sa 2ème au bloc par voie basse (1ère née par césarienne, très mal vécue par mon amie donc). Pour le coup c’est elle qui a négocié à mort avec l’équipe de lui laisser encore un peu de temps. Je suis sûre qu’elle aurait apprécié un accompagnement comme celui dont ta patiente a bénéficié…

    • Gromitflash dit :

      Les soignants ne sont pas des super-héros, c’est un peu ce que je commence à me dire. Et oui, il s’est dit qu’il fallait sans doute faire une épisio (et on lui a tous dit un grand « Non mais ça va pas ? Pose ces ciseaux ! Poseuh ! »). En même temps quand on met du 8 en gant…
      Non vraiment, brrr.

      • Knackie dit :

        I’m no supermaaaaaan.
        Ma première garde (ma vraie, celle après mes 2 jours de doublures) j’ai flippé ma race. Tout un service de GHR à moi. Personne n’est mort (et je pense qu’au début c’est ton objectif).

        Sinon elles sont chiantes les sages-femmes qui stressent en disant plus qu’un an. C’est le quart de ta formation pratique, ce n’est pas rien. Surtout qu’on apprend beaucoup en 4eme année puisqu’on te laisse plus de liberté et que tu sais mine de rien déjà pas mal de choses. En tout cas c’est ce que je dis à « mes » étudiants.

  • sfelly10 dit :

    Merci de nourrir mon angoisse a 6 jours du de! Deja que j enchaine les gardes pleines de patho (du style on revise l hdd, l infection et la rea une derniere fois!) ;-)

    • Gromitflash dit :

      Je sais que tu feras une super-sage-femme. A mon avis du est prête pour ça… j’ai juste du mal à me dire que d’ici 1 an, jours pour jours, je serai à la même place que toi, à aller attaquer mes dernières gardes d’étudiant sage-femme.

  • Une sage-femme qui t'a démasqué dit :

    Je l’ai vu quand tu étais en première année : tu seras une très bonne sage-femme.
    L’humilité est une des principales qualités que devrait avoir une sage-femme, les doutes devenant des alliés.
    Et comme dirait Knackie : encore 1/4 de formation !

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